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Avec le temps va, tout s'en va.

L’esprit Français ou le syndrome hellénique ?

          « Les Beaux Esprits se rencontrent. »
          Dans Lettres à M.Thériot, Voltaire théorise une nécessaire émulation des penseurs, qui se doivent d’être contemporains afin de créer une véritable communauté philosophique et scientifique. Premier écueil cependant, la sagesse populaire retient davantage « Les grands esprits se rencontrent », au détriment de la phrase originale. Serait-ce là le premier signe avant-coureur d’une certaine approximation de la pensée française, qui tend depuis Voltaire à disparaitre de la sphère culturelle française? A l’instar de la pensée hellénique de l’antiquité, figée depuis 1500 ans et sans héritage digne de Platon, de Pythagore ou d’Aristote, peut-on associer ce syndrome hellénique au dessin actuel de la France? Peut-on parler d’une hégémonie incontestable autrefois mais aujourd’hui achevée et dont les cendres peinent à reprendre le flambeau intellectuel?
Le salon de Madame Geoffrin,
Anicet Charles Gabriel Lemonnier, 1755
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          Une nation de l’intellect.
          Tout le monde s’accorde pour dire que la France fut, si tant est qu’elle ne l’est plus, une nation tournée vers le progrès intellectuel.. Depuis le XVIème siècle, elle n’a eu de cesse d’alimenter le débat philosophique et scientifique dans des domaines aussi variés que les mathématiques, la sociologie, la philosophie,… Pascal, Voltaire, Bourdieu, Lévi-Strauss ont chacun dans leurs domaines respectifs ouvert de nouveaux paradigmes, de nouveaux champs de pensée. S’il nous était permis d’établir une hiérarchie non exhaustive et si cela avait le moindre sens, seule l’Allemagne pourrait alors se féliciter d’un tel héritage intellectuel avec Freud, Kant ou encore Marx.

          Un creuset cartésien.
          La pensée française est loin d’être uniforme et, depuis 500 ans, s’il est difficile de mettre en exergue une dynamique commune à toutes ses réflexions personnelles, on trouve néanmoins des points d’ancrages atemporels. L’influence tout d’abord de la pensée cartésienne, de cette rationalité, est indubitable. Parce qu’il est souvent considéré comme le père de la philosophie moderne, Descartes a marqué la philosophie, française d’abord, internationale ensuite [1]. Depuis le XVIIème siècle donc, la France replace l’Homme au centre de sa réflexion grâce à une démarche très abstraite. Loin de l’empirisme d’un Locke [2] ou d’un Hobbes [3], le philosophe français réfléchit sur les idées, théorise sur la condition humaine, analyse la société dans laquelle il évolue. A l’image du jardin français, il cisèle au millimètre sa pensée, la canalise afin d’approcher au mieux l’objet étudié.
 Exemple de jardin à la française.
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          Un retentissement international.
          L’exemple le plus probant, à ce titre, est L’Encyclopédie, une œuvre collaborative du XVIIIème siècle qui a permis une installation durable, comme l’évoque Mornet dans Les origines intellectuelles de la Révolution française [4], des idées philosophiques dans la société française. Cette éclosion publique de théories, de concepts, de réflexions en un laps de temps très court rend compte de la puissance intellectuelle française de l’époque, qui se fait aussi lire à l’international. De la Prusse aux Etats-Unis d’Amérique, l’impact français est d’abord idéologique avant d’être militaire. Benjamin Franklin, l’un des pères fondateurs et signataire de la Constitution Américaine, multipliait ainsi les voyages en Europe et en France dans un but, sinon premier, de capter cet esprit humaniste.

          Un héritage difficile.
          Si ce siècle caractérise l’Age d’Or de la pensée française, la suite est moins révélatrice et pâtit d’un délaissement général de la philosophie au profit d’une méthode issue des sciences modernes. Les protagonistes à cette « succession » sont cependant légion et règnent même sur de nouveaux territoires. La « French Theory » [5] sociologique remporte un vif succès à l’international dans les années 90, Bourdieu est le sociologue le plus cité au monde, Lévi-Strauss a littéralement inventé l’anthropologie, Sartre écrit sur l’existentialisme,… Mais déjà les fondements du cartésianisme s’effritent. Foucault étudie la raison comme étant une force d’oppression des foules. Chartier répond à Mornet dans le livre Les origines culturelles de la Révolution française [6] en critiquant la mythification a posteriori de l’impact des Lumières. Non pas qu’il faille éluder cet aspect mais bien qu’il soit à replacer dans un contexte culturel et social bien plus large que ce que ne laisse supposer Mornet.
 Michel Foucault, critique du rationalisme.
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          Un abandon général.
          En généralisant cette approche, on prend conscience que c’est tout un pan de la philosophie moderne, auquel était accroché le courant français, qui s’est peu à peu fissuré jusqu’à s’effondrer aujourd’hui. La course aux brevets techniques a remplacé celle de la Vérité, le scientisme poussé à l’extrême ramène la sociologie à un calcul mathématique, le Positivisme se veut religion,… 

          Une triste analogie.
          Les conditions sont très différentes d’il y a 1500 ans, il ne s’agit pas de la disparition complète d’une civilisation ni d’un arrêt total du bouillonnement intellectuel mais la France philosophique, la France des idées est victime aujourd’hui du même syndrome.

Le syndrome hellénique.

François OLIVE.



Sources bibliographiques :  
[1] : Victor Cousin. Du Vrai, Du Beau, Du Bien. 1867. 496 pages.
[2] : John Locke. Essai sur l'entendement humain. 1689. 643 pages.
[3] : Thomas Hobbes. De la nature humaine. 1680. 180 pages.
[4] : Daniel Mornet. Les origines intellectuelles de la Révolution française. 1933. 632 pages.
[5] : François Cruzet. "La French Theory, métisse transatlantique." In Sciences Humaines. Mai/Avril 2003.
[6] : Roger Chartier. Les origines culturelles de la Révolution française. 1990. 304 pages.