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Vieille canaille



AUX ARMES ET CÆTERA

Au pays des intellectuels, des critiques sèment la panique dans le cœur des partisans du mythe de la culture française. Si, pendant des siècles, la France était source de fascination pour les pays alentours et insufflait les tendances mondiales elle semble aujourd'hui reléguée au second plan.


PAGAILLE AU POULAILLER

Les critiques fusent, et de France même :
la fascination que soulevait la culture française semble avoir définitivement fait son temps. De l’intérieur, l’enchantement reste inaudible, comme en atteste dans "Marianne" Vassilis Alexakis, écrivain grec de renom. Ayant fui la dictature des colonels en 1968 pour rejoindre la « gaieté inventive » de la France, il s’inquiète aujourd’hui de « la pénurie d'imagination qui s'insinue désormais dans tous les domaines ».

Son avis semble accréditer la thèse de Donald Morisson, qui titrait en couverture du «Times» en novembre 2007 : « The death of French Culture ».
Pointant l’inefficacité des politiques tutélaires culturelles, il remettait en cause le sacro-saint stéréotype que chérissent les citoyens eux-mêmes : la Culture Française. Voltaire, Proust, Hugo ont incarné une lignée d'esprits visionnaires, fascinant de nombreuses générations dans le monde entier. Mais malgré tout, il semble logiquement impossible que la France ne produise que des génies intellectuels comme certains voudraient l’entendre.




Fataliste, la portée de l’article du «Times» reste à modérer. En réaction dans le Guardian, Bernard Henri Lévy accuse une conception de la culture propre aux Américains, exprimée en termes de résultats et de compétitivité. L'argument principal de Donald Morrisson se base en effet sur des chiffres. Selon lui, le fait que 50% des entrées des cinémas français reviennent aux blockbusters américains est une preuve flagrante de l'échec d'une mondialisation culturelle française. Pourtant, c’est à cette même conception monétariste que s’oppose la France.


OÙ L'EXCEPTION FRANÇAISE NE FAIT PAS LA RÈGLE

Mais il n'en reste pas moins que notre pays souffre de maux structurels évidents, qui l'empêchent de se réinventer. La surabondance de l’offre culturelle en France en est un. Françoise Benhamou dénonce
le manque de visibilité de l’offre française tant au niveau national qu'international (1). En effet, la profusion de diplômes délivrés par les nombreuses écoles d'art françaises sape les chances des élèves face à la précarité et l'obstruction de la profession.

Pourtant le gouvernement a souvent exprimé sa réticence à intégrer le domaine culturel aux accords commerciaux mondiaux. En 1948, le refus catégorique des représentants français -«
Nous ne signerons pas»- lors de la conférence du GATT a révélé leur objectif final : se démarquer dans le paysage mondial. Ainsi, des subventions sont régulièrement versées, comme celle d’un montant de 81,7 millions d’euros pour le Centre Georges Pompidou en 2008.
Hormis son entrave aux principes de libre échange, le principal défaut de l'exception culturelle française réside dans sa formulation : elle définit une politique, à la limite du protectionnisme.
 

Or, à l’heure d’une mondialisation souvent abrupte, cette conception gêne particulièrement les acteurs mondiaux. La « diversité culturelle » annoncée par Jean-Marie Messier s’est, ainsi, substituée à l’ «exception culturelle française» en 2001. Mais sous cette expression de « diversité », pas de glissement sémantique. Bien au contraire, le flou environnant cette notion pousse Serge Regourd à la définir comme « dépourvu[e] de contenu intrinsèque et autoris[ant] une multiplicité de significations » (2). A contrario, la notion d’exception culturelle instaure nécessairement des normes, et devance, en ce point, la diversité culturelle.


PARADE NUMÉRIQUE


Au final, point de salut : les problèmes s’accumulent autour de cette notion, entremêlant les problématiques linguistiques, sociales et politiques. Cependant, une échappatoire semble émerger malgré les déceptions peinées qui agitent la France :
l’ère du numérique.
La métamorphose complète que subit l’Hexagone reste encore difficile à déterminer. Les tribulations de la loi Hadopi ont montré le malaise des Français à se positionner sur les problèmes que pose Internet. Pourtant les habitudes accusent un changement : la consommation de contenus en ligne a bondi de 141% en France de 2008 à 2009. Les Français semblent ainsi en bonne passe de s’adapter aux tendances virtuelles habituellement menées par les Etats-Unis, lesquels ont enregistré une augmentation de 26% sur la même période.


Mais la frilosité française disparaît là où la voracité de Google commence. Dès le 12 janvier 2010, les premières cartouches furent tirées lors de la publication du rapport Tessier sur « la numérisation du patrimoine écrit ». Il propose d’abord la mise en place d’une « taxe Google », reversant directement à l’État des parts sur les revenus publicitaires des plus gros sites comme Google, MSN. Ensuite, il suggère le développement des numérisations sur Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque Nationale de France, concurrente directe de Google Books. La France porte ainsi son premier coup dans la bataille numérique qui s’engage ; espérons que le coq n’y perde pas ses plumes.


(1) Françoise Benhamou, "Les Dérèglements de l’Exception Culturelle", Le Seuil, 2006
(2) Serge Regourd, "L’exception culturelle", PUF, Que sais je?, édition 2007