The END? Tous Droits Réservés

Comic Strip

L'art des irréductibles Gaulois résistera-t-il encore et toujours à l'envahisseur?


« Par Toutatis ! »

Qui ignore l’exclamation légendaire de notre petit Gaulois préféré ? Deux mois après le franc succès du 37ème festival international de la bande dessinée à Angoulême, il est temps de faire un état des lieux sur les phylactères et gribouillis qui prônent le 9ème Art « made in France ». La plus grande librairie du monde a rassemblé cette année entre le 28 et 31 janvier plus de 200 000 amateurs à travers le monde. Heureuse surprise après que l’on ait appris la baisse des subventions pour la culture. Contrairement aux a priori coriaces dans les mentalités de nos compatriotes, la BD est bien l’art littéraire français qui résiste le mieux à la crise. Entre 2008 et 2009 la publication d’albums a augmenté de 10% selon France Culture. Trop méconnue à sa juste valeur, on peut néanmoins le dire : la BD franco-belge, celle qui renvoie à Tintin et Gaston Lagaffe, est en bonne santé !


Art réservé à une élite?
Il semblerait que le reste de la planète soit plus faciné à son insu par l’exception culturelle qu’elle symbolise, que les Français eux-mêmes. C’est en France que le marché de la bande-dessinée est le plus dynamique d’Europe, et pléthore de dessinateurs étrangers (Jodorowsky, Pratt…) considèrent le pays comme un véritable « Eldorado », expression empruntée au théoricien en la matière Peter Groensteen. Paradoxalement l’enseignement universitaire concernant ce domaine ne date que de 90 en France : encore un retard du pays par rapport aux autres.
La France produit de la littérature internationalement reconnue, qu’elle-même doute à reconnaître comme telle. Pourtant, tout le monde a été bercé par cette culture latente, que ce soit en apprenant à lire à l’école, ou bien même dans la salle d’attente chez le médecin au coin enfants. Mais la bande-dessinée véritable, celle écrite par Van Hamme, Bilal, n’est connue que des fins amateurs. Serait-elle donc un art réservé à une élite? Quand l’on voit le prix des albums des plus grandes maisons d’éditions françaises telles que Dargaud ou Casterman, on comprend pourquoi on assimile généralement le profil du bourgeois relativement aisé à ce loisir. Mais si l’accessibilité était donnée à tout le monde ne serait-ce pas le début d’une culture de masse ?

 
Halte aux mangas !
 
Depuis les années 2000, les auteurs français commencent à se mordre les doigts. L’arrivée des comics américains n’a jamais été une source d’angoisse. Ouvrir et élargir le culturel à l’international semblait être une évidence. Mais depuis une dizaine d’années la BD à la nippone débarque et s’est imposée de manière inattendue sur le marché, représentant actuellement 40% des parts. A la télévision on remplace les épisodes quotidiens de Tintin et Milou par GTO, ou Dragon Ball. Une des figures de la bande-dessinée française, Jean Giraud, alias Moebius (Blueberry, L’Incal), accorde une interview au journal belge le Soir, en février 2006, sur la mutation du marché francophone de la BD. « Il va falloir se battre, allumer des contre-feux, faire sentir que nous avons nous aussi le droit d’exister. Autrement, on va se retrouver dans une logique proche de celle du modèle cinématographique hollywoodien : celle du profit à court terme. […] Mais entre-temps, nous aurons été laminés comme les Romains. Pas physiquement, mais culturellement. » clame l’auteur.
Cela ne sert à rien de se recroqueviller sur soi pour préserver ses traditions mais au contraire, il est préférable d’ « extraire la moelle » des influences étrangères pour conserver sa marque de fabrique. Repenser la BD tout en protégeant ses modèles uniques de couvertures cartonnées grand format et ses impressions sur beau papier lui redonnerait du cachet. Contrairement aux mangas qui sont apparus sur le marché comme une véritable industrie de masse, la politique économique française n’a jamais été réellement en faveur de cet artisanat national.

Une potion magique ?

L’influence de la BD franco-belge n’est pas à négliger. Les 9ème art français, belge et suisse sont à mettre dans le même sac d’après leur style similaire mais la notoriété française est plus convoitée. Selon les statistiques du ministère de la culture, on apprend que 10% des traductions littéraires du pays sont consacrées à la BD. L’exportation se fait donc à grande échelle. Les adaptations cinématographiques de séries telles qu’Immortel, Largo Winch, Astérix, ou le futur long métrage sur Tintin de Spielberg et Jackson, prouve que la bande-dessinée est bien plus influente qu’elle ne laisserait croire. Elle conserve son statut d’exception et de référent artistique. L’unique potion magique qui pourrait faire perdurer pour des décennies à venir ce patrimoine national, serait que les Français eux-mêmes en prennent conscience. Cet univers de passionnés et de jeunes talents attend un peu plus de considération de la part de sa contrée.


Interview du dessinateur en devenir Alfred Alfred à Angoulême pour son album "Je mourrai pas gibier".


Alice ALZON

SOURCES
IMAGES
1. Asterix et Obelix par Uderzo et Goscinny
2. schéma de l'ACBD sur la situation de la BD en 2008
3. Couverture du tome 27 de Samurai Deeper Kyo de Akimine Kamijyo
4. Illustration Immortel de Enkil Bilal